Si, comme je le pense, les plus profonds bonheurs de la vie en sont souvent les plus modestes, alors courir au point du jour doit être l’un d’entre eux.
J’ai repris la course à pied il y a quelques mois, au début de l’hiver 2021. À la vue de mon jeune corps souple, svelte et athlétique ( ironie), ceux qui me connaissent se demandent certainement pour quelle raison j’ai passé ce cap. Mais peu importe, au fond.
Quand on reprend la course à pied après des mois ou des années d’abstinence, la liste des étapes initiatiques à franchir est interminable tout autant que délicieuse. Au tout début, le premier kilomètre sans pause, puis les premiers 5 km, puis, puis, puis…
L’important, c’est surtout de ne pas se comparer et de progresser à son rythme : les Cévennes sont peuplées d’athlètes qui font Les 4000 Marches aller-retour en courant le matin et l’ascension du Mont Aigoual en vélo l’après-midi (si, si, je les suis sur Strava), donc dans ce cas précis, se comparer, ce n’est pas se consoler – même si certains d’entre eux sont une vraie source d’inspiration et d’encouragement (merci Samuel Chatard).
Mais point n’est besoin d’ainsi tutoyer les étoiles pour trouver du plaisir dans la course à pied. Quand viennent les premières grosses chaleurs du printemps et de l’été et que l’on a tenté, poussé par un mimétisme hivernal, d’aller malgré tout courir à 11h du matin ou même à 18 heures par 33 degrés à l’ombre, le corps (le mien en tout cas) se met partiellement en grève et exprime sa plus belle revendication : aller courir le matin à la fraîche.
L’aventure débute au réveil : dès que le cerveau secoue ses premiers neurones valides, il se souvient qu’il lui faut se mettre en condition pour une oxygénation matinale. Selon les jours, il appréhende ce projet comme une récompense, d’autres jours plutôt comme une épreuve. Mais même dans ce dernier cas aucune appréhension ne résiste aux premières foulées à l’aurore.
Les matins d’été ont plusieurs vertus : déjà, les routes et les sentiers sont dépeuplés. N’ayant pas besoin ni envie d’un public quand je cours, cela me sied à merveille. Certes, çà et là de jeunes lièvres s’ébrouent avant de vous montrer qu’ils peuvent vous laisser sur place en deux secondes – mais ayant lu La Fontaine, cela ne m’impressionne guère.
Autre point positif, déjà évoqué, il fait plutôt bon, entre 15 et 25 °. Le corps, rassuré quant au respect que l’on porte à ses conditions de travail, cesse derechef sa grève et accepte de faire un bout de chemin supplémentaire. Le syndicalisme constructif.
Enfin, le matin, tout semble se liguer pour vous encourager à courir : les rares passants vous sourient avec le sourire entendu que crée la fraternité de l’aurore, celle qui unit les gens levés tôt ; les cyclistes, eux-mêmes sur le départ, daignent encore vous saluer d’une main rapide en passant ; et le soleil, que l’on craindra quelques heures plus tard, est encore à l’horizon un doux compagnon de route qui par délicatesse allonge votre ombre pour vous donner l’impression que vous êtes mince et élancé. Finalement Photoshop lui doit tout.
Puis vient la fin du périple. Que l’on ait fait 5, 10 ou 20 km, le plaisir à l’arrivée ne dépend pas vraiment de ce chiffre, mais bien plutôt d’avoir passé ces quelques dizaines de minutes à tracer son chemin sans renoncer. La journée peut alors commencer : à ce moment-là de son évolution, il est rare qu’elle s’annonce mal.
Stéphane Ozil