Récit d’un rendez-vous réussi.
D’abord c’est le réveil qui sonne à quatre heures dans un brouillard de sommeil profond.
Puis vient le combat intérieur, le corps qui lutte pour se rendormir, le cerveau qui vient en renfort, soutenu par la chaleur des draps et le moelleux de l’oreiller : « on peut remettre à demain, les Cévennes ne bougeront pas, les photos seront aussi belles au cours des jours prochains, rien ne presse…«
Seul un appel pressant, aiguillé par le souvenir douloureux de précédents rendez-vous manqués, permet de s’extirper du lit. Déjà les gestes se font plus précis. Déjà le doute disparaît.
C’est le moment du café bien noir, les yeux perdus dans un autre brouillard. Les pensées se rassemblent peu à peu. Préparer le matériel. Ranger le trépied. Regarder l’heure.
Parce que le soleil n’attend pas. Une seule certitude, il se lèvera sans peine, lui. Que l’on soit au rendez-vous ou que l’on n’y soit pas.
Vient alors le moment de prendre la route. C’est toujours à ce moment-là que l’on essaie de grapiller quelques secondes en se dépêchant alors qu’on en a gaspillé des poignées plus tôt.
Puis c’est la conduite dans la nuit d’encre. Les villages qui défilent à la lueur des phares. Les poussées d’adrénaline, parfois les coups de frein brusques, lorsque apparaissent dans le halo la silhouette bondissante d’un renard, la masse furtive d’un sanglier ou celle, plus modeste, d’un blaireau.
Et puis le miracle du quotidien se produit. C’est au départ seulement une obscure clarté dans un coin de l’horizon fermé. Puis cela s’étend. Et soudain, on distingue quelques détails autour de la route. Les premières maisons défilent et s’illuminent. Déjà nous ne sommes plus seuls en Cévennes.
Une fois le cap de l’aube passé, une angoisse sourde grandit : l’aurore arrive. Sera-t-on à temps au sommet de l’Aigoual ?
Commence alors une course contre la montre. L’ascension depuis Val d’Aigoual et ses lacets magnifiques en deviennent presque un cauchemar, de ceux où l’on essaie de courir avec des semelles de plomb. Chaque minute qui passe semble rosir un ciel dans lequel on redoute de voir apparaître le premier rayon du soleil.
Derniers virages. Soudain apparaît la vallée verdoyante dans un écrin rose et bleu. Impossible de ne pas s’arrêter. Deux minutes supplémentaires de sacrifiées.
Enfin, nous y sommes. Le soleil est déjà arrivé depuis quelques minutes, mais il a pris son temps, comme s’il attendait notre arrivée pour donner le meilleur de lui-même. On se hâte d’aller à sa rencontre.
Dehors, il fait frais, même en ce mois de mai. Pas beaucoup plus de 10°, avec ce vent puissant qui vous prend directement à la gorge pour vous imposer le respect des lieux.
Et puis vient Le Moment. La récompense. La merveille.
Une fois l’observatoire passé, les Cévennes déroulent sous nos yeux le détail plissé de leurs reliefs variés. Le soleil, d’abord rouge vif puis très vite doré à nous faire baisser le regard, semble semer sur leurs sommets tour à tour des louis d’or et des rubis qui étincellent dans le matin silencieux.
Ces trésors, nous les recueillons, le coeur battant et l’oeil humide, en nous disant que c’est le vent.
Le ciel assiste à tout sans rien dire. Il se contente de changer de couleur devant ce spectacle stupéfiant.
La fièvre redescend. Déjà les premiers randonneurs arrivent du sentier des 4000 marches. Déjà le soleil se détache au-dessus des Cévennes. Déjà la journée revendique ses droits.